Louis Aragon: Une vague de rêve

Juin 1924

Paru en 1924 dans le numéro 2 de la revue Commerce ce texte est considéré comme le pendant d'Aragon au Manifeste du surréalisme de Breton. Par son lyrisme et sa déferlante d'images, il se distingue du manifeste et le complète.

« Il s’agit d’aboutir à une nouvelle déclaration des droits de l’homme », écrit Aragon. Cette formule fera date puisqu’elle sera inscrite sur la page de couverture du numéro 1 de La Révolution surréaliste du 1er décembre 1924, donnant la mesure de la valeur de manifeste d’Une vague de rêves. Si l’ouvrage n’a pas l’ampleur ni l’ambition de celui de Breton, il n’en est pas moins un jalon fondamental dans la définition du surréalisme, de ses origines, de ses expériences et des valeurs qu’il défend. L’emportement lyrique de l’écriture, son caractère passionné, la précipitation des images ne doivent pas occulter le sérieux de la réflexion théorique de l’auteur.

Marie-Thérèse Eychart
postface à Une vague de rêve, Seghers. Poésie d’abord, 2006.

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Parfois, si quelque visiteur s’inquiétait passagèrement de ce qui m’occupait dans la réclusion où, disait-on sans ironie, je me confinais, si quelqu’un ne sachant trop s’il devait douter de moi ou de soi-même, un instant accédait à l’insolite de mon existence, vite à mes réponses montait dans ses yeux le reflet de potiche de l’incrédulité. Comment aurait-il admis que je ne recherche point le bonheur ? qu’il n’y a de pensée que dans les mots ? Et pourtant parfois ce visiteur, porté par une mode, et la croyance en la force d’une doctrine, se réclamait de l’idéalisme. Alors je commençais de comprendre que j’avais encore devant moi un réaliste honteux, comme sont aujourd’hui les hommes de bonne volonté, qui vivent sur un compromis entre Kant et Comte, qui ont cru faire un grand pas en rejetant l’idée vulgaire de la réalité pour lui préférer la réalité en soi, le noumène, ce piètre plâtre démasqué. À ceux-ci rien ne fera entendre la vraie nature du réel, qu’il n’est qu’un rapport comme un autre, que l’essence des choses n’est aucunement liée à leur réalité, qu’il y a d’autres rapports que le réel que l’esprit peut saisir, et qui sont aussi premiers, comme le hasard, l’illusion, le fantastique, le rêve.
Ces diverses espèces sont réunies et conciliées dans un genre, qui est la surréalité.

Louis Aragon, Une vague de rêve, (extraits).